La récente annulation du Festival Amani, prévu à Goma du 15 au 17 novembre 2024, a déclenché un débat passionné qui met en lumière les tensions entre les aspirations culturelles et les réalités sécuritaires d’une ville plongée dans l’incertitude et la souffrance. Ce festival, symbole de l’effort de la ville pour offrir un visage de paix et d’unité à la communauté, est devenu un point focal de division au sein de la population et des autorités locales.
Le soutien populaire: La paix d’abord, la fête ensuite
Pour une partie significative de la population de Goma tel que constaté dans les réactions sur la toile, le choix du maire d’annuler l’événement est une décision salutaire, une réponse responsable aux réalités de la guerre qui secoue la région. Goma, capitale économique du Nord-Kivu, abrite des millions de déplacés internes, victimes de l’agression rwandaise via les groupes armés RDF/M23. Cette population, dont les plaies sont encore ouvertes, considère le festival Amani comme une distraction inappropriée. En effet, pour beaucoup, l’idée de célébrer dans une ville où la guerre et l’insécurité font rage semble incongrue.
Les autorités, et surtout le maire de Goma, ont justifié leur décision par des raisons de sécurité. La proximité d’événements tragiques récents, comme le naufrage du Bateau Merdi sur le lac Kivu, alimente la crainte d’un risque accru d’attaques terroristes lors du festival. D’autres soulignent le risque d’atteintes à la sécurité publique, affirmant que des rassemblements de grande ampleur peuvent être exploités par des éléments malveillants pour causer la panique, voire des attentats.
Plus encore, certains défenseurs de la décision affirment que l’annulation du festival est un geste de solidarité avec les milliers de familles en deuil. Les spectres des disparus du naufrage du 3 octobre 2024 et des victimes des violences récurrentes pèsent lourd sur cette population qui peine à tourner la page de ces événements tragiques.
Les organisateurs et la fracture culturelle: Quand la paix passe aussi par la culture
Cependant, cette annulation n’est pas vue d’un bon œil par tous. Les organisateurs du Festival Amani, soutenus par des acteurs culturels, dénoncent une décision qui prive Goma d’un événement essentiel pour sa résilience. Ils considèrent le festival comme un symbole de la volonté de la ville de surmonter ses difficultés et de montrer au monde qu’il est possible de vivre ensemble malgré les conflits.
Le Festival Amani n’est pas seulement une vitrine pour la culture congolaise, il est aussi un levier économique. Attirant des milliers de visiteurs chaque année, il représente une source de revenus pour de nombreux acteurs locaux, des hôteliers aux restaurateurs, en passant par les artistes. L’annulation de l’événement pourrait, selon eux, entraîner des pertes financières conséquentes et ternir l’image de la ville de Goma sur la scène internationale.
L’argument des organisateurs est que la culture est un vecteur de paix. À travers les concerts, les débats et les échanges, le festival permet de renforcer les liens sociaux et d’offrir aux jeunes une plateforme pour exprimer leurs talents. Cette expression artistique, selon eux, contribue à la reconstruction du tissu social, brisé par la guerre, et représente un antidote au désespoir. Pour beaucoup, Goma ne se limite pas à son rôle de ville en guerre, mais doit aussi être un lieu de créativité, d’optimisme et de renouvellement.
Les voix dissonantes: Entre frustration et incohérence politique
Toutefois, la décision d’annuler le festival n’a pas été unanime au sein même de la communauté militante. Des voix critiques se sont élevées pour dénoncer ce qu’elles perçoivent comme une hypocrisie des autorités locales. Certains points sont particulièrement pointés du doigt : pourquoi interdire un événement comme le Festival Amani tout en permettant la tenue d’autres concerts et festivals de moindre envergure durant la même période ? Des événements comme ceux de Fally Ipupa ou Gaz Mawete sont maintenus, ce qui suscite des interrogations sur la cohérence de la politique de sécurité en place.
Les opposants à l’annulation soutiennent que la culture ne devrait pas être mise en quarantaine en période de crise. Ils estiment que la paix ne se construit pas uniquement à travers des mesures militaires, mais aussi par le renforcement de la cohésion sociale, notamment par des activités culturelles. Le contraste entre l’interdiction du festival Amani et la tenue d’autres événements culturels alimente les suspicions de manipulation politique, certaines factions accusant les autorités d’utiliser la sécurité comme un prétexte pour contrôler les rassemblements et limiter les espaces d’expression libre.
Le dilemme: La culture, une priorité en temps de guerre?
Alors, le Festival Amani à Goma représente-t-il un luxe inapproprié ou un investissement nécessaire pour la paix ? La question est complexe. Dans une ville assiégée par la guerre, où les ressources humaines et matérielles sont concentrées sur la lutte contre l’agression, peut-on justifier la tenue d’un événement de masse ? Certains pensent qu’en ces temps de guerre, chaque euro dépensé dans des événements non essentiels devrait être redirigé vers des efforts militaires et humanitaires. D’autres, au contraire, soulignent que la guerre n’est pas seulement une question de combats militaires : elle est aussi un combat pour l’âme de la communauté, et la culture est un pilier fondamental dans ce processus.
La décision d’annuler le festival pourrait refléter une prise en compte des réalités locales, mais aussi l’expression d’une tension plus profonde entre sécurité et liberté, entre survie et culture, dans un contexte où les deux semblent parfois incompatibles. En définitive, la réflexion autour de cet événement interroge sur la place de la culture dans la construction de la paix, et sur la manière dont les autorités, les citoyens et les acteurs culturels doivent se coordonner pour avancer dans cette difficile quête.
Le Festival Amani, en tant que phénomène culturel et social, symbolise la tension permanente entre la nécessité de maintenir des traditions pacifiques et l’urgence de répondre aux défis sécuritaires d’une région en guerre. La décision d’annulation est révélatrice des dilemmes complexes auxquels Goma, comme d’autres villes en guerre, est confrontée. La question demeure ouverte : la culture, véritable moteur de résilience, doit-elle être sacrifiée au nom de la sécurité, ou est-elle, au contraire, un outil indispensable pour la paix et la reconstruction ?
Kaleru Samuel à Goma
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