Devant la Commission économique et financière (ECOFIN) de l’Assemblée nationale, le gouverneur de la Banque centrale du Congo, André Wameso, a défendu une politique monétaire qu’il qualifie de « stabilisatrice ». Mais derrière l’appréciation spectaculaire du franc congolais, députés et experts dénoncent une stratégie risquée, aux effets budgétaires déjà perceptibles.
Sous les dorures de la salle des Congrès du Palais du Peuple, l’atmosphère était studieuse, parfois tendue. André Wameso, gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), répondait aux questions incisives des députés membres de la Commission ECOFIN. En cause : la récente appréciation du franc congolais face au dollar, saluée par certains comme une prouesse économique, mais jugée artificielle et périlleuse par d’autres.
« Cette appréciation résulte d’une mesure prudentielle imposée aux banques commerciales », a expliqué le gouverneur, évoquant une politique de resserrement monétaire destinée à « consolider la stabilité du franc ». Concrètement, la BCC a augmenté la réserve obligatoire en monnaie nationale, limitant la circulation de liquidités en francs congolais un choix qui a mécaniquement provoqué la hausse de sa valeur.
Des effets collatéraux déjà visibles
Mais ce succès affiché a un revers. Devant les élus, André Wameso a reconnu que cette valorisation rapide du franc congolais aura pour conséquence directe une baisse des recettes publiques. Moins de dollars collectés signifie, en effet, des rentrées fiscales moindres pour l’État, puisque le budget repose sur des taux de change désormais moins favorables.
Pour atténuer le choc, le gouverneur a annoncé des « mesures correctrices » : la suppression progressive de certaines exonérations fiscales, une espérance de hausse de la TVA grâce à la consommation, et une compensation par l’augmentation du prix des matières premières, notamment le cuivre et le cobalt.
Des promesses jugées insuffisantes par plusieurs économistes. « Ce sont des demi-mesures, qui risquent d’aggraver la pression sur les entreprises déjà fragilisées », estime le professeur Godé Mpoy, interrogé à la sortie de l’audition. « On ne peut pas compenser une contraction monétaire par des recettes hypothétiques. L’économie congolaise reste dollarisée, et la consommation intérieure, atone. »
Une politique déconnectée du budget
Derrière ce débat technique se cache une faille plus profonde : l’absence de coordination entre la politique monétaire et la politique budgétaire. En agissant sans concertation préalable avec le ministère des Finances, la Banque centrale aurait fragilisé le cadrage du budget 2025.
« Les régies financières calculent leurs projections sur base du taux de change. Si le dollar baisse brutalement, les recettes diminuent d’autant », explique un député de la majorité.
Résultat : plusieurs provinces, dont les recettes locales dépendent des transferts en devises, redoutent déjà des tensions de trésorerie. Certains agents publics se plaignent même de retards dans le paiement des salaires.
Un optimisme qui divise
Malgré les critiques, André Wameso se veut rassurant. « Nous avons rétabli la confiance dans notre monnaie. Ce n’est pas une crise, c’est une transition », a-t-il insisté, tout en appelant à « la patience et au patriotisme économique ».
Un optimisme jugé excessif par d’autres analystes, qui voient dans cette stratégie un pari risqué sur le court terme. « La BCC cherche à afficher un franc fort, mais cela ne reflète pas la réalité productive du pays », estime un expert indépendant. « Ce genre d’appréciation forcée profite aux importateurs et aux détenteurs de liquidités, pas aux exportateurs ni aux ménages. »
Un virage à haut risque
Entre volontarisme politique et improvisation technique, la Banque centrale semble engagée dans un virage monétaire incertain. Si la stabilité du franc congolais a été brandie comme une victoire nationale, elle pourrait se révéler un mirage coûteux pour les finances publiques.
Sans réajustement concerté entre la BCC et le ministère des Finances, la République démocratique du Congo risque de voir sa marge budgétaire se réduire — et sa stabilité économique vaciller.
Israel NTUMBA.

+ There are no comments
Add yours